8 - Les fusillés de Vingré
Le commandement tient aussi la troupe par la contrainte. Plusieurs soldats furent exécutés pour refus d’obéissance, abandon de poste devant l’ennemi ou pour l’exemple. Parmi eux, Jean Quinault, Pierre Gay et Claude Pettelet, originaires du département de l’Allier. Le 4 décembre 1914, ils sont fusillés à Vingré dans l’Aisne, avec trois de leurs camarades. Les six hommes ont été réhabilités en 1921.
Un fusillé est un combattant exécuté par l’armée à laquelle il appartient après la décision d'une juridiction militaire qui intervient dans un cadre légal pour un délit précis. Dès le mois de septembre 1914, Joffre, confronté à de nombreux cas de paniques et de mutilations volontaires, décide de créer des conseils de guerre spéciaux, chargés de juger de manière expéditive les soldats accusés pour désertion, refus d’obéissance et abandon de poste en présence de l’ennemi. La justice militaire sanctionne ces fautes commises par de lourdes condamnations comme la peine de mort mais elle le fait aussi dans un souci d'exemplarité qui vise à maintenir la troupe en parfait état d'obéissance. Nicolas Offenstadt précise que « les jugements et la peine appliquée ont été orientés par les stratégies disciplinaires, notamment celle de l'exemple à faire pour la troupe ». La volonté de « faire des exemples » conduit à sélectionner arbitrairement parmi les inculpés ceux qui passeront en conseil de guerre et qui seront condamnés à mort. Le cas des six fusillés de Vingré témoigne de cette méthode. Les soldats Jean Blanchard, Francisque Durantet, Pierre Gay, Claude Pettelet, Jean Quinault et le caporal Paul Floch sont fusillés à Vingré le 4 décembre 1914.
Rappelons les faits à l’origine de cette exécution. Le 27 novembre 1914, dans le secteur nord-ouest de Vingré dans l’Aisne, les Allemands pénètrent dans une tranchée de première ligne, à la tombée de la nuit. L’attaque surprend les hommes et le sous-lieutenant Paulaud donne l’ordre à la section de se replier dans une autre tranchée distante d’une cinquantaine de mètres. Le lieutenant Paupier, qui commande la tranchée de résistance, ordonne alors aux hommes de reprendre leurs positions immédiatement, ce qu’ils font. L’incident n’aura duré que quelques minutes. Que leur reproche-t-on ? Un manque de vigilance et un flottement dans la surveillance mais cela ne relève pas des conseils de guerres spéciaux, sachant que les hommes de la 19e compagnie du 298e régiment d’infanterie ont obéi aux ordres de repli du sous-lieutenant Paulaud. L’affaire s’emballe lorsque l’officier, commandant la section, rédige son rapport et explique « qu’il dut user de toute son autorité, appuyée par celle du lieutenant Paupier, commandant de compagnie, pour faire remonter les hommes et occuper la tranchée. À l’état-major du 298e, l’occasion de faire un exemple au reste de la troupe est saisie ; le général de Villaret, commandant le 7e corps d’armée, fait traduire 24 soldats devant le conseil de guerre sous l’inculpation d’abandon de poste devant l’ennemi. Des directives sont données au conseil de guerre par le général lui-même pour aider, selon lui, les autres combattants à retrouver le goût de l'obéissance : « Il importe que la procédure soit expéditive, pour qu’une répression immédiate donne, par des exemples salutaires, l’efficacité à attendre d’une juridiction d’exception », écrit-il dans une note datée du 20 octobre 1914. Quant aux soldats, ils ne comprennent pas ce qu’il leur arrive. À cela, il faut ajouter que le défenseur est averti deux heures avant l’audience du rôle qu’il aura à assumer. Six sont condamnés à mort et exécutés le 4 décembre, les dix-huit autres soldats sont acquittés mais le général de Villaret n’en reste pas là. Il leur inflige une punition de 60 jours de prison et fait en sorte que cet évènement soit connu du reste la troupe.
Par arrêt rendu le 18 février 1921, la Cour de Cassation réhabilita les fusillés de Vingré. Un conseil de guerre se réunit le 5 et le 6 octobre 1921 pour décider d’éventuelles sanctions contre les officiers responsables. Le Lieutenant Paulaud est alors déclaré non coupable.
Sources :
http://www.cndp.fr/pour-memoire/accueil.html
André Sérézat, « Les fusillés de Vingré », Etudes Bourbonnaises, n° 284, 1999.