Les photographies de la Société d'Emulation du Bourbonnais

Le journal de bord de Sylvain Lagonie

Etudiant en Licence Pro Métiers de l’information : Archives, médiation et patrimoine au CNAM, je réalise lors du premier trimestre 2023 mon stage de fin d’études aux Archives départementales de l’Allier. Je suis accueilli par le directeur M. Linsolas et la directrice adjointe Mme Poupin qui me proposent de travailler sur le fonds photographique de plaques de verre donné par la Société d’Emulation du Bourbonnais ( S.E.B. ) aux Archives.


Première semaine

Après une visite détaillée des locaux des Archives, je prends connaissance du stock de photos de la S.E.B. entreposé dans une armoire forte.

Les premiers jours sont donc consacrés au déploiement des boîtes et aux premiers constats sur l’état général des contenants et des contenus permettant d’appréhender le fonds de manière globale.

Cette première semaine m’a aussi permis de rencontrer les membres de la Société d’Emulation accompagné de M. Linsolas et Mme Poupin au siège de l’association afin d’échanger sur cette collection de photos.


L'ensemble des boites de plaques photographiques

Deuxième semaine 

Le travail continue plus en détail cette fois et je traite chaque boîte afin d’en recenser le contenu sur un fichier dédié. Cette analyse permet de considérer la diversité dans un premier temps des supports : les plaques de verre bien évidemment (de tous formats : 6X6 / 9X12 / 13X18 / 21X27 … 8X10 pour les formats de projections) mais aussi certaines surprises comme des autochromes (cliché positif en couleur sur plaque de verre), des vues stéréoscopiques (permettant une vision de l’image en relief), des négatifs souples et même des vues de projection sur papier calque.

Le contenu quant à lui se révèle peu à peu, laissant entrevoir les thématiques récurrentes du fonds :

. Moulins (Cathédrale, Tour de la Mal-Coiffée, Pont Régemortes, Chapelle de la Visitation, Musée Anne de Beaujeu …)

. Souvigny (Eglise, prieuré, tombeau …)

. Les églises du Bourbonnais et plus largement le patrimoine religieux (représentations de la Vierge, reliques, croix, vitraux…)

. Les nombreux châteaux de l’Allier

Mais aussi des thématiques propres à la Société d’émulation du Bourbonnais :

. Les excursions de l’association

. Les fouilles réalisées par les membres éminents de la S.E.B

. Les conférences données par certains membres comme celles de M. Buriot-Darsiles par exemple.


Troisième semaine

Le traitement des boîtes se poursuit et permet de confirmer les thématiques qui se détachaient déjà la semaine précédente.

Certaines archives n’apportant que peu d’éléments informatifs (absence de notes descriptives sur les boîtes et/ou les plaques elles-mêmes, ou notes rendues illisibles par le temps et les conditions de conservation), le travail est plus délicat et demande plus de recherches pour arriver à décrire chaque plaque.

Il faut considérer que l’ensemble est « en vrac », et parfois même au sein d’une même boîte. Les époques, les lieux, les protagonistes sont mélangés. L’aide de l’équipe des Archives départementales est alors primordiale pour m’accompagner dans ces recherches et avancer dans ce travail d’identification.


Quatrième semaine

J'ai enfin dépouillé entièrement ce fonds. En quelques chiffres, il est composé de : 

. 277 boîtes

Beaucoup de ces boites ne sont pas d'origine. Soit, il s'agit de contenants de récupération, soit ce sont réellement des boites de plaques de verre, mais renfermant divers formats, donc de diverses provenances. Enfin quelques-unes semblent être d'origine, fonds et couvercle cohérents. 

. 3888 plaques de verre

. 407 négatifs souples

. 184 clichés sur papier calque

Attardons-nous aujourd'hui sur les clichés sur calque. Il s'agit manifestement d'images de projection, rangées dans des enveloppes thématiques. La lecture du bulletin de la S. E. B. permettra peut-être de retrouver les dates de ces conférences.


Le golf de Vichy, après 1936
Le golf de Vichy, après 1936

Cinquième semaine

Cette semaine, notre attention s'est portée sur une pochette du photographe A. Legrand, Photographe-Portraitiste, 15, rue du Pont, MOULINS.

Elle porte la mention manuscrite au feutre : 3 Diapositives remises par Mr Marcel Génermont (février 1972). Les jardins Wilson à Montluçon ? Chapelle du Parc de Baleine [sic]. Le golf de Vichy.

De fait, cette pochette est un remploi et renferme trois plaques de verre positives en couleur au format 18 x 24 cm et portent la signature : J. Desboutin Paris.

Il s'agit de trois plaques autochromes du photographe Jean Desboutin (1878-1951) dit "Tchiquine". C'est le fils de Marcellin Desboutin, peintre, graveur et écrivain, originaire de Cérilly (Allier). Tout d'abord, peintre comme son père, il aurait été formé à la photographie en couleurs par Gervais Courtellemont.

Jean Desboutin était installé à Paris au 5, rue Royale à l'enseigne Photo-Couleurs. Nous lui connaissons une autre adresse professionnelle au 21, rue Henri-Monnier. Il est connu pour avoir fait les portraits du roi George V et de la reine Mary au palais de Buckingham en mars 1914. Ces images ont été publiées en couleur dans L'Illustration. Par ailleurs, il a fait des reproductions en couleurs de pièces de musées et d'objets d'art, des portraits mondains ou des photos publicitaires de mode.


La chapelle du château de Balaine
La chapelle du château de Balaine

La plaque représentant le pavillon du golf de Vichy peut être datée. En effet, ce bâtiment a été construit en 1908 sur les plans de l'architecte Gustave Simon, architecte de la Compagnie fermière. En 1936, lors de travaux, le clocheton qui surmontait le pavillon a été supprimé. Les deux autres vues ont été prises au château de Balaine à Villeneuve-sur-Allier, l'une représente bien la chapelle et l'autre jardin et le château et non les jardins Wilson à Montluçon.

A ce jour, nous ne savons pas à quelle occasion ces vues ont été réalisées, qui était le commanditaire et si elles ont été reproduites.

Le jardin et le château de Balaine
Le jardin et le château de Balaine

Sixième semaine

Entre autres thématiques, celle des personnalités liées au département est assez importante. Outre les incontournables Duc et Duchesse de Montmorency et la dynastie des Bourbons, on retrouve de nombreux clichés des auteurs et artistes nés dans le département : Charles-Louis Philippe, Emile Guillaumin, Théodore de Banville, Marcellin Desboutin…

Intéressons-nous plus particulièrement cette semaine à l’un d’entre eux : le colonel Laussedat.

Né en 1819 à Moulins, la carrière d’Aimé Laussedat est pour ainsi dire difficile à résumer : militaire, ingénieur, enseignant… Ses contributions scientifiques sont majeures et on lui doit l’invention de nombreux outils de mesures liés à l’application des techniques photographiques aux domaines de la topographie et de la cartographie notamment.

Il fit la majeure partie de sa carrière militaire dans le génie et permis de conserver de nombreux villages dans le giron français grâce à son travail sur le tracé des nouvelles frontières suite au conflit entre la France et la Prusse.

En parallèle de cette carrière militaire, il transmettra ses savoirs au sein d’institutions telles que l’Ecole Polytechnique (dont il est lui-même un ancien élève) et au Conservatoire national des arts et métiers dont il deviendra le directeur en 1884.

On peut noter pour finir son implication dans de nombreuses sociétés savantes :

. Membre de l’Académie des Sciences

. Président d’honneur de la Société Française de Photographie

. Membre honoraire de la Société d’émulation du Bourbonnais

Il fut également élevé au rang de Grand Officier de la Légion d’Honneur.

Au regard de ce parcours remarquable et méritoire, sa carrière lui aurait sans doute valu plus de reconnaissance dans son propre pays, il l’obtiendra néanmoins dans le monde anglo-saxon et hispanique.


Septième semaine

L’Arboretum de Balaine est une institution bien connue des Bourbonnais. Fondé en 1804 par Aglaé Adanson (fille du célèbre naturaliste Michel Adanson), le parc est classé aux Monuments Historiques en 1993.

Au sein du fonds photographique de la S.E.B. nous avons découvert une douzaine de boîtes, toutes estampillées : « Roquigny ». Ce nom semble vraisemblablement correspondre à Guillaume de Rocquigny-Adanson, gendre de Paul-Napoléon Doumet-Adanson lui-même petit-fils d’Aglaé.

Le contenu de ses boîtes montre une collection impressionnante d’objets dans le style des cabinets de curiosité à la mode en cette fin du 19ème siècle : des minéraux, des fossiles, des antiquités égyptiennes, de nombreux objets venant d’Extrême-Orient, ainsi qu’un considérable arsenal militaire (dont une curieuse armure à clous difficile à identifier…).

On sait dans les grandes lignes que cette collection s’est constituée en réalité sur quatre générations d’Adanson et que ces objets se sont trouvés réunis en partie suite aux voyages des membres de cette famille d’érudits.

On en sait cependant beaucoup moins sur ce qu’est devenue cette collection. Un temps envisagé par Paul-Napoléon Doumet-Adanson, le don de cet ensemble à la ville de Moulins (avec pour condition la création d’un bâtiment spécifique pour l’accueillir) n’aboutira finalement pas ; tout comme son acquisition par la ville de Sète (dont Doumet-Adanson fut maire) dont les finances ne le permettaient pas à l’époque.

Reste à savoir où et comment les objets ont été dispersés. On trouve une trace de la vente de tableaux à Drouot sous le titre « Collection du Musée de Balaine-Succession Doumet-Adanson » en 1923. Pour ce qui est du reste (fossiles, antiquités, armes,…) nous n’avons pas d’informations sur ce qu’il en est advenu !



Huitième semaine

Bâtiment phare de Moulins et du Bourbonnais, la Tour de la Mal-Coiffée est un des rares vestiges du Château des Ducs de Bourbon suite à l’incendie de 1755. En 1780, elle est aménagée en prison. Vendu comme bien national au moment de la Révolution française, le château fut classé au titre des monuments historiques en 1875.

Mais c’est l’histoire de la Mal-Coiffée durant la Seconde Guerre mondiale qui nous intéresse ici.

En effet, la tour fit office à cette époque de prison allemande du 9 juin 1940 au 25 août 1944 (celle-ci, redevenue française, gardera son statut pénitentiaire jusqu’en 1984).

Parmi les nombreux clichés du fonds de la Société d’émulation, une série importante (environ 15 boîtes et près de 300 plaques) concerne la Mal-Coiffée en tant que prison allemande.

Il semble qu’une majeure partie de ces clichés soit l’œuvre du photographe professionnel René Jonard. Il fut lui-même incarcéré pour avoir réalisé de faux-papiers. La famille Jonard est bien connue des Moulinois puisque celle-ci a tenu un magasin de photos jusqu’en 2008.

Prises entre 1944 et 1946, ces photos apportent un témoignage cru et néanmoins révélateur sur ce qu’était ce lieu, patrimoine bourbonnais réquisitionné par l’armée allemande, et laisse imaginer la rudesse des conditions de détention des prisonniers juifs ou résistants.

Témoignage essentiel des atrocités de la guerre, une partie de ces clichés est exposée dans l’enceinte de la Mal-Coiffée et visible lors de visites guidées.


Neuvième semaine

Indissociable de Moulins, c’est au début du 15ème siècle que l’histoire du Jacquemart débute, jalonnée par diverses modifications structurelles mais également par les sinistres.

Un des événements qui marqua son histoire fut la restauration des automates. Ceux-ci avaient en effet cessé de fonctionner depuis 1871 et c’est en 1932 que la municipalité de Moulins vota un budget alloué à la remise en état de l’horloge du Jacquemart et de ses sonneurs.

Les sonneurs furent ainsi envoyés en Alsace où l’entreprise Ungerer, célèbre horloger strasbourgeois, se vit confier la lourde tâche de leur restauration.

On trouve dans le fonds de la Société d’émulation de nombreux clichés relatant cet événement ; du démontage des automates à leur retour, et l’accueil chaleureux que leur firent les Moulinois (une foule de près de 6 000 personnes se serait, en effet, rassemblée le 23 octobre 1932 pour fêter le retour de la famille Jacquemart, reprenant du service sur et sous les coups de 16 h.)

Pour l’anecdote, une copie du Jacquemart a été érigée en Angleterre, à Loughbourough très exactement, mais pour un tout autre usage. À la recherche d’une idée pour le monument aux morts dont on lui a confié le projet, l’architecte anglais Sir Walter Tapper s’inspira, suite à un passage par la cité bourbonnaise, du Jacquemart pour concevoir les plans de son bâtiment. Le mémorial sera inauguré en 1923 et hormis les différences notables de matériaux de construction (grès pour le monument français et briques pour son jumeau anglais) et l’absence de cadran et d’automates pour le monument aux morts contrairement au Jacquemart dont la fonction était celle d’une horloge, on peut assurément constater la proximité esthétique des deux édifices.


Dixième semaine

Puisque nous sommes dans un cabinet de curiosités, parlons curiosités !

Au cours de mon inventaire du fonds, deux plaques ont suscité mon intérêt de par leur singularité. Il s’agit en effet de deux clichés montrant les plans d’une scène de crime. Ce sont les plans de la boulangerie de Saint-Gérand-le-Puy dont la propriétaire fut assassinée par Charles Philippo en 1909.

Celui-ci, boulanger, ce faisait embaucher avant de commettre divers larcins et de prendre la fuite. Le crime de Saint-Gérand-le-Puy, le 23 juin 1909, fut son premier mais non son dernier. Il assassina en effet quelques mois plus tard, le 17 octobre, la boulangère chez qui il était employé, cette fois-ci dans la Meuse, avant de voler l’argent du commerce.

Rattrapé par les autorités le 10 avril 1910 à Saumur, il sera condamné à la guillotine le 4 juillet de la même année.

Relatant ce fait divers à la directrice adjointe des archives départementales, Mme Poupin, elle me fit part des recherches d’une étudiante en architecture dont le mémoire traitait du lien entre architecture et investigation criminelle. Quelques mails plus tard, nous pûmes échanger nos travaux respectifs sur ce crime : les plaques de verre numérisées pour ma part et le document original (ci-dessous) de son côté.

En ce qui concerne la présence des clichés de cette scène de crime dans le fonds de la S.E.B., nous n’en avons pas l’explication. À une époque où les « distractions » n’étaient pas celles que nous connaissons aujourd’hui, il se peut que ce type de fait divers et plus précisément sans doute l’enquête qui fut menée autour du crime de Philippo put captiver, si ce n’est émouvoir, les membres érudits d’une société savante.


Onzième semaine

Le stage arrivant à son terme, je prends conscience du faible nombre de photos originales d’hommes, femmes et enfants au sein du fonds de la S. E. B.

Le constat peut sembler surprenant à l’heure des selfies et des réseaux sociaux, mais c'est sans doute représentatif de la société de l’époque.

Ces rares clichés témoignent de la vie dans le Bourbonnais durant la première moitié du 20ème siècle : mariages, enterrements, portraits de famille… On peut voir également quelques images des membres de la S. E. B. lors des traditionnelles excursions, mais aussi un cliché de Léon Blum dans un contexte et accompagné de personnes que nous ne connaissons pas à ce jour.

Je souhaitais ainsi partager dans ce journal de bord les trop rares visages qui m’ont accompagné durant ces trois mois de stage.


Douzième semaine

L’idée de ce journal de bord était de partager avec le public les découvertes de ce fonds de plaques de verre et de le faire vivre après un long sommeil. J’espère avoir réussi cette mission et la prolongerai après mon départ des Archives départementales de l’Allier ; une conférence de la S. E. B. sur le sujet est d’ores et déjà prévue pour janvier 2024.

Mon stage arrivant à son terme, je tenais à remercier toute l’équipe des Archives pour leur accueil et particulièrement son directeur M. Linsolas et son adjointe Mme Poupin pour leur bienveillance à mon égard et leur soutien tout au long de ces trois mois.

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