La pompe funéraire en Bourbonnais au XVIIe siècle

Recto de l'acte.

Quittance du peintre Sève pour les décors funéraires et le tableau de saint Hyacinthe exécutés pour l’enterrement de Marie de Bonnefoy, épouse de Jacques de Dreuille, seigneur d’Issards (10 juillet 1665, A. D. Allier. E 157).

Verso de l'acte.

Transcription du texte

« Du 10 juillet 1665 quittance pour le tableau de saint Hyacinthe qui est dans l’église d’Autrye. »

« Quittance de Mr Sève. »

« Je confaice avoir reçeut de Monsieur de Dreuille la somme de quarante deux livres pour ung tableau de Monsieur sainct Yasinte, et pour douze douzaine d’éscusons doré et paint, quatre chandeliers dont je le garite et tous austre, faict le diziesme juliet mis six cens soixante et sainct."

- Plus j’ay faict pour feu damoiselle de Dreuille un tableau de Monsieur sainct Yasinte...pour 25 livres.

- Plus pour les obsèques de feu Mademoiselle de Dreuille j’ay fait six douzaines et demie d’escussons sur papier des armes de Monsieur et de Mademoiselle de Dreuille my partie... pour trente six livres.

-Plus pour les quatre chandeliers, paig et semé de larmes... pour quarante sols.

-Plus six sur du cartons et parsemé de larmes... pour 4 livres. »

Commentaire

Le 31 mai 1665, à Moulins, Marie de Bonnefoy, « mademoiselle de Dreuille », deuxième épouse de Jacques de Dreuille, mourut à l’âge de 41 ans en mettant au monde son cinquième enfant, une fille prénommée Claude, qui ne survécut pas non plus.

Veuve de Jean de Culant, elle avait épousé en secondes noces, le 3 juin 1654 à Saint-Pierre-des-Ménestraux de Moulins, Jacques IV de Dreuille (1620-1679), chevalier, seigneur d’Issards. La première femme de Jacques de Dreuille, Marie Aubery, était elle-même morte en 1652, lui laissant deux enfants. Capitaine de cavalerie, Jacques de Dreuille servit plus de vingt ans dans les chevau-légers et gendarmes de la garde du Roi.

Armoiries de Jacques de Dreuille (G. de Soultrait, Armorial du Bourbonnais).
Armoiries de Jacques de Dreuille (G. de Soultrait, Armorial du Bourbonnais).
Armoiries de Marie de Bonnefoy (image reconstituée d'après G. de Soultrait, Armorial du Bourbonnais).
Armoiries de Marie de Bonnefoy (image reconstituée d'après G. de Soultrait, Armorial du Bourbonnais).

Les obsèques de la dame eurent lieu le lendemain de sa mort, le 1er juin 1665, dans l’église Saint-Pierre-de-Ménestraux. L’église fut détruite à la Révolution et n’est connue que par quelques rares représentations.

Saint-Pierre-des-Ménestraux (dessin d'Etienne Martellange, 1615, Ashmolean Museum d’Oxford, WA.C.LAR.II.110).
Saint-Pierre-des-Ménestraux (dessin d'Etienne Martellange, 1615, Ashmolean Museum d’Oxford, WA.C.LAR.II.110).
Saint-Pierre-des-Ménestraux (Armorial de Guillaume Revel, milieu du XVe siècle, BnF., Fr. 22297, p. 369).
Saint-Pierre-des-Ménestraux (Armorial de Guillaume Revel, milieu du XVe siècle, BnF., Fr. 22297, p. 369).

C’est le peintre moulinois Gilbert Sève qui fut chargé de la décoration funéraire. Il peignit et dora sur papier six douzaines et demie d’écussons aux armes de la défunte. Puis il décora d’un semis de larmes quatre chandeliers, et six écussons en carton. Les écussons de papier devaient être fixés sur une bande de tissu noir formant la litre funéraire. Sous l’Ancien Régime, le droit de litre, coutume voulant qu’une bande noire soit tendue sur les murs de l’église à l’occasion des funérailles, était une prérogative seigneuriale. Le rôle de cette ceinture est de perpétuer la mémoire du défunt le temps du deuil, durant un an et un jour. Cette tradition, abolie avec l’Ancien Régime, faisait partie des droits honorifiques réservés à certains seigneurs patrons d’église, bienfaiteurs. La litre du seigneur fait porter son deuil à l’église ou à la chapelle de sa paroisse. Les chandeliers, peut-être en bois peint en noir, ainsi que les écussons en carton, décoraient sans doute le catafalque, le parsemant de larmes en signe de deuil.

Essai de reconstitution de la litre funéraire (détail).
Essai de reconstitution de la litre funéraire (détail).
Litre funéraire des Feydeau (XVIIe siècle, Notre-Dame de Moulins, © Pierre Taillefer, Drac Auvergne).
Litre funéraire des Feydeau (XVIIe siècle, Notre-Dame de Moulins, © Pierre Taillefer, Drac Auvergne).
Exemple d'écusson semé de larmes.
Exemple d'écusson semé de larmes.

A l’occasion de ce décès, Gilbert Sève peignit également, pour le repos de l’âme de la défunte, un tableau représentant saint Hyacinthe, destiné à la chapelle seigneuriale de la famille de Dreuille dans l’église paroissiale de la Trinité à Autry (chapelle de la Vierge). Ce tableau a disparu, sans doute à la Révolution.

Si Jacques de Dreuille et son épouse demeuraient à Moulins, on peut supposer que la litre funéraire fut placée, après les obsèques, tout le long de la nef de l’église paroissiale d’Autry, où les seigneurs avaient non seulement leur chapelle, mais aussi leur banc, dans le chœur face à l’autel.

Gilbert Sève dut faire face à une commande rapide, l’enterrement ayant lieu le lendemain du décès. Comme tous les peintres, il devait avoir un ou des apprentis pour le seconder. Quant au tableau de saint Hyacinthe, il mit en un peu plus d’un mois pour l’achever, entre le 1er juin et le 10 juillet. Le prix des écussons sur papier à livrer rapidement (36 livres) fut plus élevé que celui du tableau (25 livres).

Le peintre Sève donne quittance de la somme payée pour l’ensemble de ces travaux à M. de Dreuille le 10 juillet 1665.

La dévotion à saint Hyacinthe est dominicaine. C’était un saint particulièrement vénéré par la famille de Dreuille : la chapelle du château d’Issards était sous le vocable des saints Jacques et Hyacinthe. On sait en effet que, suite aux profanations huguenotes cette chapelle fut rendue au culte sous ce vocable en 1658 (fondation de 10 livres, 25 mai et 6 novembre 1658, A. D. Allier, E 157, liasse [1608-1784]).

Eglise paroissiale de la Trinité à Autry-Issards (XIe, XIIe siècles, A. D. Allier, 75 J 140).
Eglise paroissiale de la Trinité à Autry-Issards (XIe, XIIe siècles, A. D. Allier, 75 J 140).
Château d'Issards (XVe siècle, A. D. Allier, 9 J 26).
Château d'Issards (XVe siècle, A. D. Allier, 9 J 26).
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