Le nouveau chœur de l’abbesse Ermengarde : 2e quart du XIIe siècle

LA CHASSE DE L'AUTEL MAJEUR


Les vicissitudes de son histoire

L’autel majeur, et sans doute les clôtures du sanctuaire, ont été détruits lors des modernisations de la fin du XVIIe siècle : seule fut épargnée la châsse. Mais la Révolution lui fut évidemment fatale. Seuls des vestiges épars subsistent de cet ensemble : pignons, longs côtés, toit et frises du soubassement. Les parties les plus dégradées sont celles qui étaient les plus accessibles, à l’est : polychromie usée par le contact des fidèles, sculptures brisées par les révolutionnaires.


Structure

La châsse avait la forme d'une maison à toit en bâtière, dont les pignons étaient soulignés de festons et le dessus couvert de tuiles. Des personnages saints ornaient les quatre côtés : sur un pignon saint Menou évêque, sur l’autre le Christ en majesté entouré du Tétramorphe et surmonté de l'Agneau, sur les grands côtés les douze apôtres assis sous des arcades. Des rinceaux terminés par un motif de gaufrage (ou nid-d’abeilles) se déroulaient tout autour de la base du monument : sous le pignon du Christ étaient des rinceaux avec une tête de diable, sous ceux de Menou, un motif de gaufrage. Les quatre montants latéraux de la châsse comportaient le même motif. La châsse semble avoir été posée sur quatre colonnettes qui en formaient les pieds.

Les couleurs de la châsse : une manière d’orfèvrerie éclatante

En pierre calcaire blanche, la châsse destinée à recueillir les reliques du saint imitait par sa forme et par le raffinement de sa sculpture polychrome, une œuvre d'orfèvrerie. Se détachant sur un fond bleu azur ou vert, les drapés byzantinisants et colorés des personnages se mariaient avec bonheur aux bandes de gaufrages alternés rouges et verts, aux rinceaux fleuris de la base aux mêmes coloris vifs (rinceaux verts, fond rouge vif, fleurs bleues à cœurs rouges), ainsi qu’au toit d’un rouge intense qui surplombait l’ensemble. Certaines couleurs ont cependant perdu de leur intensité d’origine : les verts, surtout, ont bruni.
Usage et liturgie : un tombeau et un autel

L’autel majeur s’appuyait sur le monument funéraire de Menou, qui faisait office de retable. Les reliques sanctifiaient l’autel, selon l’usage du temps. Point central de l’église, le retable de l’autel majeur associait donc l’eucharistie (côté sanctuaire) aux reliques du saint (côté abside). Le programme iconographique s’accordait à cette disposition, « glorifiant… le saint dédicataire principal [ici Menou] en même temps que la personne divine, au point focal de l’espace liturgique [1] ». La châsse était placée perpendiculairement à l’autel et le dominait : face aux fidèles, le pignon représentant le Christ en gloire couronnait les degrés de l’autel.

La châsse était surélevée afin que les pèlerins puissent rituellement passer au-dessous. Conservé dans l’abside auprès de la nouvelle châsse, l’antique et vénérable sarcophage de Menou, à présent vide, était un élément important de cet aménagement. Il avait d’ailleurs été rafraîchi à cette occasion (ouverture avec arc en plein cintre décoré de rosaces et polissage).

Toute reconstitution plus précise de cet ensemble est difficile : il ne reste rien de l’autel, non plus que de la clôture du sanctuaire. Certaines des plaques de rinceaux rectangulaires en surnombre proviennent peut-être des degrés de l’autel [2]. Une grande plaque, figurant deux anges dans les nuées, devait se trouver dans les parties hautes de ces aménagements liturgiques [3]. Il pourrait s’agir, par exemple, des vestiges d’un baldaquin de pierre surplombant la châsse.

Iconographie : la seconde Parousie du Christ / Menou en saint évêque

Sur le pignon dominant l’autel était représentée la seconde Parousie du Christ, c’est-à-dire son avènement triomphal à la fin des temps. Sur un fond de ciel azuré, le Christ en Majesté siège sur un trône, tenant le Livre de sa main gauche et bénissant de la droite. La mandorle rouge vif qui l’entoure est cantonnée des quatre vivants de l’Apocalypse et surmontée par l’Agneau. Les pieds posés sur un tabouret, le Christ écrase le Malin. Deux anges aux ailes déployées, debout sur les pignons de la châsse, dominaient autrefois la composition. L’image est directement empruntée à la vision apocalyptique de saint Jean (Ap. IV et V). Le Christ, portant barbe et chevelure brun sombre, est vêtu du manteau rouge, couleur de la Passion. Doublé d’un tissu abricot, ce vêtement recouvre une tunique verte. Les quatre vivants et l’Agneau (lui-même dans un médaillon rouge à fond bleu), se détachent sur un fond vert. Cette image solennelle et somptueuse aux couleurs éclatantes (outremer, rouge vermillon, vert émeraude, rose chair, blanc, brun foncé, jaune d’or, orange, ocre jaune…) présentait aux fidèles une vision triomphale de la fin des temps. L’Agneau, en plus de sa signification eschatologique, évoquait le sacrifice qui se déroulait sur l’autel situé juste au-dessous.

Sur les côtés de la châsse, selon l’usage du temps [4], en lieu et place des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse figurent les douze apôtres assis sur des trônes sous des arcades symbolisant l’Eglise. Représentés dans des attitudes légèrement variées, ils siègent de manière digne et tiennent alternativement un livre ou un volumen (livre en rouleau), tandis que, de leur main libre, ils font un geste d’acclamation ou d’écoute. Seuls saint Paul [5], et très probablement saint Pierre, étaient mis en valeur par leurs attributs spécifiques (l’épée et la clef), et encadraient le Christ. La place de choix assignée à ces deux apôtres romains pourrait être une nouvelle allusion à Rome et témoigner de l’attachement de l’abbaye à la papauté. Vêtus de couleurs vives (azur, rouge) et portant des auréoles ocre jaune, les douze apôtres se détachaient autrefois sur un fond bleu, entre des colonnes aux chapiteaux et aux bases rouges.

Du côté de l’abside se tenait saint Menou, sa haute silhouette se dressant en pied sur un fond d’azur sur toute la hauteur du pignon. Figuré en évêque, il était vêtu d’une chasuble rouge carmin doublée de vert et coiffé d’une mitre aux fanons frangés de vermillon. Le drap finement plissé de son vêtement de dessous apparaissait au col et aux poignets. Il tenait sa crosse de la main gauche et bénissait de la droite les pèlerins qui le venaient visiter.

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[1] Jean-Pierre Caillet, « De l’antependium au retable », p. 12.
[2] De même hauteur que la châsse, terminées elles aussi par des gaufrages, ces sculptures sont cependant d’une autre main.
[3] Ils ont la même hauteur que les côtés de la châsse où se trouvent les apôtres. De plus, leur iconographie s’accorde particulièrement bien avec la scène du pignon est : debout sur des nuées ondulantes, ils présentent des phylactères déroulés, participant manifestement aussi à la seconde Parousie du Christ.
[4] L’assimilation des 24 vieillards de l’Apocalypse aux 12 tribus d’Israël et aux 12 apôtres est une interprétation courante à l’époque médiévale. Ils représentent l'Ancien et le Nouveau Testament.
[5] La présence anachronique de Paul au milieu des apôtres indique que la scène possède un sens liturgique et non pas narratif.

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